Le récit complet des rêves, tiré des Olympica, est rapporté par Baillet uniquement dans l'édition majeure de Vie de M. Descartes (1690) est réduit à une paraphrase de quelques lignes de l'Abrégé publié l'année suivante. En comparant les deux textes, on remarque comment Baillet a atténué les références à l'enthousiasme duquel Descartes s'est senti rempli («pleno cum forem entousiasmo») et a supprimé la référence au 'génie', qui a inspiré cet enthousiasme. Baillet montre qu'il considère cet 'enthousiasme' comme la conséquence d'un état de surexcitation et de la fatigue physique et mentale de Descartes, et renforce cette interprétation dans la version de l'Abrégé. En bref, le récit cartésien originel lui pose des difficultés dans lesquelles il ne se débrouille pas bien. C'est un texte d'une forte unité narrative qui donne une originalité à son travail de biographe, mais qu'il préfère éliminer, omettre. Mon hypothèse interprétative est que Baillet, après avoir reçu de nombreuses critiques pour avoir décrit l'épisode de rêves et l'enthousiasme de Descartes, a tenté en 1692 d'atténuer les éléments les plus controversés du texte de 1691. Et ceci surtout en ce qui concerne la religiosité du jeune Descartes, qui, dans le texte de 1619, est liée à une conception de l'enthousiasme et de l'inspiration d'un 'génie', difficile à proposer après les critiques au cartésianisme en tant que philosophie fondée sur l'enthousiasme de la part de Voetius, Scoock, Revius, Tepelius, à partir des années Quarante et que pose des problèmes encore plus grands dans la dernière décennie du siècle. Des détracteurs tels que Boeschet et Huet vont stigmatiser les rêves, l'enthousiasme et la religiosité du jeune Descartes, décrite par Baillet, mais le feront aussi des lecteurs d'une profondeur très différente tels que Malebranche, Huygens et même Leibniz, le seul à avoir lu des manuscrits cartésiens comme Baillet, et qui il croit que le biographe n'ait pas compris ce qu'est 'l'enthousiasme' de Descartes. En ce qui concerne le contenu des rêves et leur interprétation dans le contexte historique de 1619, en proposant une interprétation d'historien des idées, je pense que le fait que le jeune Descartes affirme que ses rêves ont une origine divine et non naturelle, et le fait qu'il pense que, une fois exclue leur possible origine diabolique, elles devraient être interprétées par leur enseignement moral, représente une croyance répandue largement présente dans la mentalité et les idées religieuses de la première modernité. Il n'est pas étonnant que le jeune Descartes en soit imprégné, et cela n'indique pas une culture onirocritique spécifique de type Renaissante - et encore moins rosicrucienne. Des dictionnaires (Goclenius) aux manuels scolaires (commentaires à Aristote et Conimbricenses), c'est une idée courante que certains rêves puissent avoir une origine divine et doivent être interprétés. Le symbolisme élémentaire adopté par le jeune Descartes pour les expliquer est en outre congruent avec les autres parties des Olympica et constitue un symbolique 'privé' à l'usage exclusif du jeune Descartes ; qui ne vient pas d'une symbolique partagée ou d'une codification symbolique courante dans les manuels d'oniromanthie. Le fait singulier n'est pas que le jeune Descartes croit aux rêves d'origine divine ou diabolique, mais qu'il croit pouvoir interpréter lui-même des rêves d'origine divine, sans avoir recours à un guide spirituel (director conscientiae, comme il est e cas pour lui, chrétien catholique) ou un doctus, un magus (au sens persan du terme), comme cela se produit dans les cultures hermétiques. C'est en vertu de l'éclat de l'Esprit de vérité descendu sur lui que Descartes se sent autorisé à interpréter des rêves d'origine divine. Encore une fois, le thème fondamental n'est pas l'oniromanthie de la renaissance, la symbolique risicrucienne, car le symbolisme de ses rêves est réservé à l'usage exclusif de Descartes, mais l'enthousiasme qui devient une aide divine, non seulement de la part du 'génie' qui annonce les songes avant les songes, mais de l'Esprit de vérité. Enthousiasme que, dans ces pages, le jeune Descartes n'est pas disposé à réduire à la surexcitation psychophysique évoquée par Baillet, ni à l'enthousiasme suscité par l'inventum mirabilis, auquel Leibniz le conduit. Enthousiasme qui s'impose, à mon avis, à l'historien des idées en tant que composante de la religiosité du jeune Descartes.

les songes de 1619: contexte et réception

Claudio Buccolini
2023

Abstract

Le récit complet des rêves, tiré des Olympica, est rapporté par Baillet uniquement dans l'édition majeure de Vie de M. Descartes (1690) est réduit à une paraphrase de quelques lignes de l'Abrégé publié l'année suivante. En comparant les deux textes, on remarque comment Baillet a atténué les références à l'enthousiasme duquel Descartes s'est senti rempli («pleno cum forem entousiasmo») et a supprimé la référence au 'génie', qui a inspiré cet enthousiasme. Baillet montre qu'il considère cet 'enthousiasme' comme la conséquence d'un état de surexcitation et de la fatigue physique et mentale de Descartes, et renforce cette interprétation dans la version de l'Abrégé. En bref, le récit cartésien originel lui pose des difficultés dans lesquelles il ne se débrouille pas bien. C'est un texte d'une forte unité narrative qui donne une originalité à son travail de biographe, mais qu'il préfère éliminer, omettre. Mon hypothèse interprétative est que Baillet, après avoir reçu de nombreuses critiques pour avoir décrit l'épisode de rêves et l'enthousiasme de Descartes, a tenté en 1692 d'atténuer les éléments les plus controversés du texte de 1691. Et ceci surtout en ce qui concerne la religiosité du jeune Descartes, qui, dans le texte de 1619, est liée à une conception de l'enthousiasme et de l'inspiration d'un 'génie', difficile à proposer après les critiques au cartésianisme en tant que philosophie fondée sur l'enthousiasme de la part de Voetius, Scoock, Revius, Tepelius, à partir des années Quarante et que pose des problèmes encore plus grands dans la dernière décennie du siècle. Des détracteurs tels que Boeschet et Huet vont stigmatiser les rêves, l'enthousiasme et la religiosité du jeune Descartes, décrite par Baillet, mais le feront aussi des lecteurs d'une profondeur très différente tels que Malebranche, Huygens et même Leibniz, le seul à avoir lu des manuscrits cartésiens comme Baillet, et qui il croit que le biographe n'ait pas compris ce qu'est 'l'enthousiasme' de Descartes. En ce qui concerne le contenu des rêves et leur interprétation dans le contexte historique de 1619, en proposant une interprétation d'historien des idées, je pense que le fait que le jeune Descartes affirme que ses rêves ont une origine divine et non naturelle, et le fait qu'il pense que, une fois exclue leur possible origine diabolique, elles devraient être interprétées par leur enseignement moral, représente une croyance répandue largement présente dans la mentalité et les idées religieuses de la première modernité. Il n'est pas étonnant que le jeune Descartes en soit imprégné, et cela n'indique pas une culture onirocritique spécifique de type Renaissante - et encore moins rosicrucienne. Des dictionnaires (Goclenius) aux manuels scolaires (commentaires à Aristote et Conimbricenses), c'est une idée courante que certains rêves puissent avoir une origine divine et doivent être interprétés. Le symbolisme élémentaire adopté par le jeune Descartes pour les expliquer est en outre congruent avec les autres parties des Olympica et constitue un symbolique 'privé' à l'usage exclusif du jeune Descartes ; qui ne vient pas d'une symbolique partagée ou d'une codification symbolique courante dans les manuels d'oniromanthie. Le fait singulier n'est pas que le jeune Descartes croit aux rêves d'origine divine ou diabolique, mais qu'il croit pouvoir interpréter lui-même des rêves d'origine divine, sans avoir recours à un guide spirituel (director conscientiae, comme il est e cas pour lui, chrétien catholique) ou un doctus, un magus (au sens persan du terme), comme cela se produit dans les cultures hermétiques. C'est en vertu de l'éclat de l'Esprit de vérité descendu sur lui que Descartes se sent autorisé à interpréter des rêves d'origine divine. Encore une fois, le thème fondamental n'est pas l'oniromanthie de la renaissance, la symbolique risicrucienne, car le symbolisme de ses rêves est réservé à l'usage exclusif de Descartes, mais l'enthousiasme qui devient une aide divine, non seulement de la part du 'génie' qui annonce les songes avant les songes, mais de l'Esprit de vérité. Enthousiasme que, dans ces pages, le jeune Descartes n'est pas disposé à réduire à la surexcitation psychophysique évoquée par Baillet, ni à l'enthousiasme suscité par l'inventum mirabilis, auquel Leibniz le conduit. Enthousiasme qui s'impose, à mon avis, à l'historien des idées en tant que composante de la religiosité du jeune Descartes.
2023
Istituto per il Lessico Intellettuale Europeo e Storia delle Idee - ILIESI
978-3-495-49268-0
songes descartes
Descartes écrits de jeunesse
théorie des songes à l'époque cartesienne
biographie cartésienne
Adrien Baillet
File in questo prodotto:
Non ci sono file associati a questo prodotto.

I documenti in IRIS sono protetti da copyright e tutti i diritti sono riservati, salvo diversa indicazione.

Utilizza questo identificativo per citare o creare un link a questo documento: https://hdl.handle.net/20.500.14243/376915
Citazioni
  • ???jsp.display-item.citation.pmc??? ND
  • Scopus ND
  • ???jsp.display-item.citation.isi??? ND
social impact